Une table-ronde pour lutter contre les dérives sectaires en santé
Suite à la publication du dernier rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), la Faculté de médecine, maïeutique et sciences de la santé de l’Université de Strasbourg organisait, mardi 13 mai, une table-ronde intitulée « Dérives sectaires en santé : de quoi doit-on s’inquiéter ? » en présence, entre autres, de représentants de la Faculté de médecine, de l’Ordre des médecins, mais aussi d’une association de victimes de sectes.
Au cours de la période 2022-2024, la Miviludes a répertorié 1600 saisines annuelles relatives à la santé. Souvent pointées du doigt, les pratiques de soins non conventionnelles (PSNC), terme utilisé notamment par le Conseil de l’ordre des médecins pour désigner, selon ses termes, des pratiques qui ne sont ni reconnues par la médecine conventionnelle, ni enseignées au cours de la formation initiale des professionnels de santé. Comme l’a expliqué son représentant, François Pelissier, toutes ces pratiques ne mènent pas à des dérives sectaires, mais elles présentent un risque. De nombreux cas reposent sur un manque d’information : certains patients suivent un beau discours et sont embarqués dans des pratiques qui s’éloignent de la médecine et tendent parfois vers l’ésotérisme.
« Toutes les pratiques de soins non conventionnelles ne mènent pas à des dérives sectaires, mais elles présentent un risque »
Les victimes et leurs familles sollicitent régulièrement l’aide de structures telles que l’Association de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (ADFI), dont la présidente, Isabelle Boucher-Doigneau, était présente. Il faut faire attention quand une personne cherche à faire adhérer de manière exclusive à une pratique, un modèle de pensée, avec un discours anti-science. On peut vite basculer dans une rupture de soins puis une rupture avec le cercle familial. Les premières victimes sont les femmes, car elles sont les premières victimes d’errances médicales
, analysait Isabelle Boucher-Doigneau. Dans les dérives sectaires en santé, on observe un mélange entre la foi et la médecine. Il faut savoir raison garder et faire preuve de discernement entre ce qui relève des croyances et ce qui relève des pratiques thérapeutiques.
Répondre à une demande des patients
Les différents intervenants dont Pascal Ingweiler, directeur du Collège ostéopathique Strasbourg Europe, ont fait état de la complexité de la situation actuelle, entre le flou qui entoure les soins pratiqués par certains, à visée thérapeutique ou de bien-être, mais aussi les contradictions entre la reconnaissance par l’État de certaines pratiques alors qu’elles sont parallèlement dans le viseur de la Miviludes. Une situation confuse dont profitent quelques praticiens peu scrupuleux.
« Il faut faire la distinction entre les pratiques alternatives, qui visent à remplacer des soins de médecine conventionnelle, et les pratiques complémentaires qui viennent s’associer aux soins conventionnels »
La “médecine conventionnelle” désigne en réalité le système de médecine dominant dans un pays à un moment donné
, a tenu à préciser Fabrice Berna, vice-président du Collège universitaire de médecines intégrative et complémentaires (Cumic), «tandis que son collègue de la Faculté de médecine, Jean-Gérard Bloch, rappelait l’évolution continue de la médecine : On observe un glissement dans le temps. Une pratique thérapeutique devient conventionnelle quand la communauté scientifique a suffisamment de consensus pour l’adopter. Il faut aussi faire la distinction entre les pratiques alternatives, qui visent à remplacer des soins de médecine conventionnelle, et les pratiques complémentaires qui, comme leur nom l’indique, viennent s’associer aux soins conventionnels, pour améliorer le quotidien du patient.
40% des Français se tournent vers des pratiques non conventionnelles, alors que la Miviludes tient un discours alarmiste, en se basant sur des indicateurs flous qui manquent de rigueur scientifique
, a regretté Fabrice Berna. Le Cumic milite pour structurer la médecine intégrative comme en Suisse et pour sécuriser l’accès des patients aux pratiques de soins non conventionnelles
, a plaidé le psychiatre.
« Beaucoup de dérives pourraient être évitées par plus de dialogue. »
Présent dans l’auditoire, Robert Hermann, président du comité du Bas-Rhin de la Ligue contre le cancer, témoignait de son expérience de patient : Pourquoi se dirige-t-on vers des pratiques alternatives lorsque l’on est patient ? Parce qu’en tant que malade, on se pose beaucoup de questions. S’il n’y a pas suffisamment de dialogue, qu’on est dans le doute, que les médicaments ne font pas encore effet, que le vocabulaire des médecins est incompréhensible, on prête l’oreille aux personnes qui évoquent des thérapies alternatives. Le pas est vite sauté quand ceux qui pratiquent des médecines alternatives ont beaucoup de temps et d’écoute à consacrer aux malades… Beaucoup de dérives pourraient être évitées par plus de dialogue avec le corps médical.
La nécessité d’une meilleure information des patients
Pour endiguer ces dérives, les différents intervenants identifiaient tous la nécessité d’une meilleure information des patients sur la nature des pratiques proposées, alternatives ou complémentaires ; leur visée, thérapeutique ou de bien-être ; et le statut du praticien qui exerce, médecin ou non. Le rapport de la Miviludes cite surtout des praticiens qui n’ont pas de formation qualifiée, mais le risque de dérive dépend surtout de l’éthique personnelle
, rappelait Fabrice Berna. Et de défendre sa solution : S’il y a un lieu pour offrir une formation critique sur les pratiques de soins non conventionnelles et leur utilité, c’est dans les facultés de médecine. Il faut encadrer la formation des futurs praticiens en thérapies complémentaires. Il faut que les médecins s’impliquent dans l’encadrement des pratiques non conventionnelles dans une démarche intégrative, pour offrir un parcours de soins sécurisé aux patients.
Les participants à la table-ronde
La table-ronde était modérée par Nans Florens, médecin et animateur de la chaîne d’information Dock N’ Roll, en présence de :
- François Pelissier, médecin, représentant du Conseil de l'ordre des médecins (CDOM 67)
- Isabelle Boucher-Doigneau, présidente de l’Association de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (ADFI Alsace)
- Fabrice Berna (Université de Strasbourg), vice-président du Collège universitaire de médecines intégrative et complémentaires (Cumic)
- Jean-Gérard Bloch (Université de Strasbourg), responsable pédagogique du Diplôme universitaire (DU) Méditation, médecines et neurosciences
- Pascal Ingweiler, directeur du Collège ostéopathique Strasbourg Europe
Mots-clés
Mots-clés associés à l'article :