Par Marion Riegert
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Rattus norvegicus, un voisin des villes révélateur des problèmes humains

« C'est poilu, c'est très moche », « S'il te croque, ben tu es mort et aussi le rat, il y en a plein à l'Elsau morts et vivants », « Ils attaquent le fromage. Ils sont sales et dégoutants », « Il fouille dans les poubelles »*… Les clichés sur le rat ont la dent dure. Trois chercheuses de la Zone atelier environnementale urbaine se sont intéressées à l’animal dans le cadre d’une enquête pluridisciplinaire menée durant un an sur le territoire de l’Eurométropole de Strasbourg.

Tout est parti d’une étrange rumeur. Rattus norvegicus, rat brun de nos villes, proliférerait dans l’agglomération strasbourgeoise. Caroline Habold, chercheuse à l’Institut pluridisciplinaire Hubert-Curien (IPHC – CNRS/Unistra), son stagiaire du master Ecophysiologie, écologie et éthologie, Mathieu Béraud, Véronique Philippot et Sandrine Glatron, chercheuses au Laboratoire interdisciplinaire en études culturelles (Lincs – CNRS / Unistra), se penchent sur le phénomène à travers des questions, écologiques, de santé, sociales et politiques.

Analyse des articles de presse, des plaintes des habitants cumulées de septembre 2021 à septembre 2022, travail sur le rapport de la mission d’information et d’évaluation de la ville… Pour leur étude, les chercheuses utilisent différents corpus.

Elles se concentrent sur plusieurs lieux :  l’hyper-centre, l’Elsau, le quartier de la Laiterie et la Wantzenau, suivant un gradient d’urbanisation décroissant. En collaboration avec l’Institut Pasteur de Paris, le Laboratoire alsacien d’analyses et le Centre hospitalo-universitaire (CHU) de Reims, elles y capturent des rats pour analyser leur état sanitaire et voir s’il est corrélé au degré d’urbanisation et au type d’habitat.

Sans oublier de réaliser une enquête ethnographique : 29 entretiens semi-directifs auprès de personnes concernées par l’affaire du rat (élus, décideurs, enseignants, habitants, étudiants…). Et un questionnaire plus court auprès des passants, sur les lieux même des captures.

La prolifération du rat risque de devenir un problème de santé publique

Des questions sont posées autour des ressentis sur le rat : pourquoi il serait gênant, nuisible ? Est-ce que les citadins font la différence entre rat d’élevage et rat du dehors ? Est-ce qu’ils rattachent la présence du rat à un quartier en particulier ou un type d’habitat ? Est-ce que c’est vraiment un problème en ville…

Il s’agit d’abord d’une question de densité locale, conséquence d’une offre facile de nourriture

Résultats : côté santé, dans tous les quartiers suivis, les rats prélevés sont porteurs d’agents pathogènes : bactéries, virus et vers parasites, potentiellement dangereux pour l’humain. La prolifération du rat risque de devenir un problème de santé publique, avec par exemple la contamination d’enfants dans les parcs et jardins publics. Il faut trouver des solutions pour réduire le nombre de rats en ville, explique Caroline Habold, qui précise que Rattus norvegicus est une espèce exotique envahissante originaire d’Asie.

Mais il s’agit d’abord d’une question de densité locale, conséquence d’une offre facile de nourriture dans des quartiers où les déchets sont accessibles en grande quantité. Cependant, il n’est pas possible de mesurer précisément le nombre de rats dans un lieu. Nous estimons plutôt qu’il est devenu plus visible et c’est cela qui doit alerter, poursuivent les trois chercheuses.

Un bouc émissaire

 La mairie propose de parler d’une espèce liminaire. C’est-à-dire qui vit au seuil de nos habitats, sans devoir y pénétrer. Il y a une volonté des politiques de réduire les actions létales sur le rat. La mise à mort du rat, surtout si elle génère de la souffrance, est mal acceptée par les habitants, précise Véronique Philippot.

Le rat est souvent le reflet d’une cohabitation difficile entre populations humaines

Côté humain, beaucoup de préjugés. Ce qui transparaît dans la presse, c’est que le rat symbolise le délaissement des quartiers. En réalité, le rat est souvent le reflet d’une cohabitation difficile entre populations humaines. Certains disent, par exemple, que les rats sont présents parce que les voisins se comportent mal, en laissant traîner leurs déchets, notamment, souligne Sandrine Glatron.

Le rat est devenu un problème avec les courants d’hygiénisme des villes à la fin du 19e siècle. Période à laquelle on a enterré le rat, avec la création des égouts. Ce qu’il ressort des entretiens, c’est qu’il sert de bouc émissaire pour exprimer et révéler des problèmes humains, notamment celui de la gestion de nos déchets ménagers, conclut Véronique Philippot, qui rappelle deux règles simples pour éviter sa prolifération et en faire un bon voisin : Ne pas laisser sa nourriture trainer et arrêter le gaspillage alimentaire…

* Phrases recueillies par Véronique Philippot auprès d’une classe de CM2 de l’Elsau

La Zone atelier environnementale et urbaine (ZAEU)

Le projet s’inscrit dans le cadre de la Zone atelier environnementale urbaine (ZAEU). Une « zone atelier » est un dispositif de recherche transdisciplinaire et interdisciplinaire sur les socio-écosystèmes à dimension régionale. Elle se focalise sur une unité fonctionnelle, ici un environnement urbain : l’Eurométropole de Strasbourg (EMS). Elle a pour objet l’étude et la compréhension des relations entre une société et son environnement, sans oublier la dimension socio-politique.

Créée en 2011, la ZAEU est composée de laboratoires de recherche et de services de l’Eurométropole de Strasbourg (EMS) qui travaillent en synergie pour élaborer une compréhension commune du milieu urbain et des solutions nécessaires à un développement durable. Une phase importante concerne la diffusion des résultats et l’échange d’informations entre les partenaires et entre pairs (autres collectivités locales, chercheurs d’autres villes ou pays, etc.)

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