Par Marion Riegert
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Le Ceifac s’attaque à la lutte contre les crimes environnementaux

Le traditionnel colloque annuel du Collège européen des investigations financières et de l’analyse financière criminelle (Ceifac) se penchera le 15 juin 2023 sur une thématique d’actualité : les liens entre corruption, blanchiment d’argent et crimes environnementaux. Le point avec Chantal Cutajar, directrice du Ceifac.

Pourquoi cette thématique ?

A la différence des autres crimes, les crimes contre l’environnement ont des conséquences directes sur les générations futures et leur santé. Ils alimentent la corruption et convergent vers d’autres crimes graves tels que le trafic de drogue et le travail forcé. Ces crimes privent également les gouvernements de ressources financières cruciales et ont des conséquences économiques importantes notamment en concurrençant les entreprises licites. Cette criminalité se développe de manière exponentielle en raison du peu de risques qu’elle fait encourir à leurs auteurs comparativement aux gains procurés : entre 110 et 281 milliards de dollars par an selon Interpol, avec une progression annuelle de l’ordre de 14 % ce qui la place au troisième rang des trafics illicites après celui de la drogue et les contrefaçons. Pour lutter contre cette forme de criminalité, les investigations financières constituent un axe nouveau que le Ceifac s’est donné pour mission de promouvoir.

Qu’appelle-t-on crimes environnementaux ?

La notion de crimes environnementaux émerge dans les années 1980 grâce aux mouvements écologistes qui mettent en lumière les conséquences néfastes de l’activité humaine sur l’environnement et appellent à la prise de mesures pour protéger la planète. Il n’existe pas encore de définition universelle de ces crimes. L’expression englobe un ensemble d’activités illégales portant atteinte à l’environnement et qui profitent à certains individus, groupes ou entreprises. Selon l’Atlas mondial des flux illicites, les crimes environnementaux recouvrent le commerce illégal d’espèces sauvages, le vol et la contrebande de carburant, l’extraction illégale et le commerce de l’or, de diamants et d’autres minerais et ressources précieuses, l’exploitation forestière illégale, le trafic et le rejet illégal de déchets toxiques et électroniques, les crimes liés à la pêche illicite.

Qui sont les responsables de ces crimes et comment sont-ils organisés ?

Les organisations criminelles jouent un rôle important en matière de trafic de déchets au sein de nombreuses économies développées. Elles utilisent la fraude dans le but d’obtenir la signature de contrats pour l’élimination des déchets et se livrent ensuite à une décharge illégale. Certains criminels sont spécialisés dans un ou plusieurs crimes environnementaux et font appel à des réseaux spécialisés de blanchiment pour faciliter les flux financiers. La criminalité environnementale peut également constituer un des volets de l’activité d’une organisation criminelle qui coexiste notamment avec la traite d’êtres humains, le trafic de drogue, la corruption ou encore les fraudes fiscales.

Qu’est-ce qui est mis en place pour lutter contre ces crimes ?

Plusieurs conventions internationales sectorielles ont été adoptées comme la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et leur élimination (1989) ou encore la Convention sur la diversité biologique (1992). A l’échelle de l’Union européenne, une directive relative à la protection de l'environnement par le droit pénal a été adoptée en 2008.

Est-ce efficace ?

Selon une évaluation réalisée en 2019-2020 par la Commission européenne, la directive n’a pas atteint ses objectifs : un trop faible nombre d'affaires ont fait l'objet d'une enquête ayant abouti à une condamnation ; les sanctions prononcées ne sont pas dissuasives ; la coopération transfrontière n'est pas systématique. La Commission européenne a présenté le 15 décembre 2021 une proposition visant à en améliorer l'efficacité. Avec notamment une définition plus précise de la criminalité environnementale et de nouveaux types d'infractions pénales environnementales, passant de 9 à 20. Plus largement, dans un rapport de 2021, le Groupe d'action financière (Gafi), organisme mondial de surveillance du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, constate que les mesures prises par les gouvernements pour identifier et bouleverser ces flux financiers ne sont pas proportionnées à l’ampleur du phénomène. Le rapport pointe également un manque de moyens pour enquêter et retracer les gains, mais aussi un manque de coordination entre les enquêteurs financiers, les cellules de renseignement financier et les acteurs en charge de la mise en œuvre des politiques de protection et de lutte contre les crimes environnementaux.

Quelles sont les pistes d’amélioration ?

Il conviendrait notamment d’améliorer la détection des crimes contre l’environnement en s’assurant que les systèmes financier et non financier des États ne sont pas utilisés dans le but de dissimuler et de blanchir des gains provenant de crimes contre l’environnement. D’étendre et de mettre en œuvre systématiquement des investigations financières pour lutter contre la criminalité environnementale. Ce qui implique une meilleure coopération entre pays. Il convient au-delà d’instaurer des relations de travail avec des partenaires inhabituels, comme les services administratifs spécialisés en matière de lutte contre les infractions environnementales et les agences environnementales et d’établir un dialogue avec l’ensemble des parties prenantes. Sans oublier le volet sensibilisation/formation.

L’analyse criminelle opérationnelle fête ses 30 ans

Le service spécialisé de la police fédérale belge qui lutte contre la délinquance économique fête ses 30 ans. Son directeur, Marc Simon est également co-directeur du Ceifac. L’occasion de rappeler le rôle du Ceifac de formateur de spécialistes de services comme celui-ci.

Nous dispensons une formation à des enquêteurs spécialisés, policiers et gendarmes, des magistrats, juges et procureurs, des douaniers aussi et même des membres de cellules de renseignement financier de toute l’Union européenne et des pays candidats, rappelle Chantal Cutajar.

Depuis sa création, en 2013, le Ceifac a formé plus de 400 auditeurs et a permis à 70 d’entre-eux d’obtenir le Diplôme universitaire (DU) Investigations financières à l’échelle européenne grâce à la soutenance d’un mémoire qui vient enrichir la référothèque, une base de données totalement sécurisée à la disposition des auditeurs.

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