Par Marion Riegert
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La linguistique au service de l’analyse d’une thérapie de régulation émotionnelle

Dans une étude interdisciplinaire participative, des psychologues et médecins se sont associés à des linguistes de l’unité de recherche Linguistique, langues, parole (Lilpa - Unistra). Objectif : utiliser la linguistique pour évaluer les progrès de patients atteints de lésions cérébrales acquises (LCA) dans la reconnaissance et la dénomination de leurs émotions. Un travail pour lequel ils ont obtenu un financement exploratoire de l’Initiative d’excellence.

Les patients présentant des lésions cérébrales acquises, suite à des traumatismes crâniens par exemple, peuvent montrer des signes de dysrégulation émotionnelle. Une émotion est déclenchée plus vite et plus longtemps ou au contraire la personne est dans le surcontrôle, rapporte Salomé Klein, doctorante à Lilpa qui s’intéresse au traitement automatique de la langue. 

Dirigé par le docteur Agata Krasny-Pacini, le projet Groupe régulation émotion après LCA (Gremo-LCA) de l’Institut universitaire de réadaptation Clemenceau, au sein des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, propose une approche cognitivo-comportementale pour aider ces patients à, entre autres, identifier, nommer et réguler leurs émotions. 

L’efficacité de la thérapie et les progrès des patients sont évalués par auto-questionnaires de qualité de vie et de régulation émotionnelle. Problème, les psychologues n’étaient pas satisfaits de ce support. Parfois, ils voyaient des différences dans le discours des patients qui ne ressortaient pas dans le questionnaire, précise Salomé Klein.

Se comprendre entre linguistes, psychologues et médecins

C’est là qu’interviennent les linguistes de Lilpa. Nous avons voulu explorer des marqueurs linguistiques émotionnels qui soient aptes à décrire l’évolution des patients. Nous avons d’abord procédé à une étude de faisabilité. Il a fallu en effet voir comment se comprendre entre linguistes et chercheurs issus d’autres domaines scientifiques. Nous avons également suivi nous-mêmes des modules de la thérapie, explique Hélène D'Apote Vassiliadou, chercheuse à Lilpa qui co-dirige le projet Idex avec Agata Krasny-Pacini. 

Dès 2022, en plus des mesures classiques, chaque patient volontaire inclus dans le protocole est enregistré trois fois lors d’un entretien semi-directif de 40 à 90 minutes. Une première fois cinq mois avant le début de la thérapie, juste avant la thérapie et après les cinq mois de thérapie.

L’interviewer doit rester neutre, sans interpréter ni extrapoler les réponses du patient

La trame des entretiens est élaborée en collaboration avec les chercheurs du projet. L’interviewer doit rester neutre, sans interpréter ni extrapoler les réponses du patient. Il fallait faire attention notamment lors des relances de ne pas influencer les patients, glisse Salomé Klein qui précise que les données sont anonymisées et analysées à l’aveugle. Soit 118 heures d’enregistrements de 39 patients exploitables.

L’expression est plus riche et directe

Après quoi, place à l’analyse. Sur deux patients déjà étudiés, les résultats montrent que la thérapie est efficace. L’expression est plus riche et directe, davantage orientée vers le ressenti. Les patients ont moins de disfluences dans leur discours et leur voix, pour le dire vite, correspond mieux à l’émotion évoquée. Il y a aussi moins d’hésitations et de répétitions, détaille Thalassio Briand, doctorant au Lilpa, qui s’intéresse à l’analyse de la prosodie, de la syntaxe et des disfluences dans les discours.

Le financement de l’Initiative d’excellence exploratoire leur permettra d’accélérer le traitement des données et de fournir des preuves linguistiques que la thérapie fonctionne. Salomé étudiera par exemple comment entrainer un modèle d’IA générative pour qu’il puisse détecter et annoter automatiquement les discours. Cette analyse sera mise en regard avec les résultats de Thalassio sur la prosodie et la syntaxe du discours des patients, précise Hélène D'Apote Vassiliadou qui souligne qu’il s’agit d’une étude participative avec un retour des patients et une présentation annuelle des résultats en présence des familles.

Montrer comment les sciences humaines peuvent collaborer avec le domaine de la santé 

Le financement permettra également de payer en partie le salaire d’une psychologue. Une école d’automne aura lieu en 2026 autour des émotions avec des formations à destination des doctorants. L’idée plus globale étant de montrer comment les sciences humaines peuvent collaborer avec le domaine de la santé et en profiter pour proposer de nouveaux outils d’analyse pour la linguistique, conclut la chercheuse.

Une grande collaboration

Le corpus récolté par Lilpa a déjà donné lieu à de nombreux travaux de recherche. Une première thèse a été soutenue en 2024 par un des piliers du projet, Marie Kuppelin, intitulée : La thérapie comportementale dialectique pour des personnes présentant une lésion cérébrale acquise : adaptations, évaluations et caractérisation de la dysrégulation émotionnelle.

En plus des deux doctorants cités dans l’article, deux autres thèses sont en cours à Lilpa : celle de Joé Laroche financée par la Région Grand Est porte sur le lexique de l’acceptation de soi des patients atteints de lésions cérébrales. Celle de Louis Raguenet vise une analyse qualitative du discours des patients en se focalisant sur l’expression implicite des émotions.  Enfin, chaque année, une dizaine de stagiaires, soit plus de 40 déjà, venant de centres de formation en orthophonie ainsi que de la licence Sciences du langage de Strasbourg participent au projet. 

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