Par Marion Riegert
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Forum européen de bioéthique, l'environnement(s) au coeur des débats

Du 1er au 4 février, la treizième édition du Forum européen de bioéthique portera sur le thème : Bioéthique et environnement(s). Morceaux choisis avec trois chercheurs strasbourgeois invités.

Faire un enfant un risque pour la planète ?

Didier Breton, démographe au sein du laboratoire Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe (Sage – CNRS/Unistra)

Nous sommes environ 8 milliards sur la planète mais le rythme d’accroissement diminue fortement. La population mondiale devrait atteindre son maximum, soit entre 10 et 11 milliards de personnes, vers 2 100 et l’accroissement de la population sera alors nul. C’est intéressant de voir la question de ne pas faire d’enfant ou d’enfant de plus pour le bien de la planète à un moment où le nombre d’enfants par femme n’a jamais été aussi bas partout dans le monde. Ce nombre est bien inférieur au niveau de renouvellement de la population, sauf en Afrique ou dans certaines pays du Moyen-Orient et d’Amérique du Sud. Si la population a sa taille actuelle c’est autant lié à la baisse de la mortalité qu’au niveau de la fécondité. Par exemple, dans les années 1970-1980, la mortalité infantile pouvait atteindre un enfant sur quatre dans certains pays, aujourd’hui elle est inférieure à 10 % dans tous les pays du monde et atteint 28 décès d’enfants avant un an pour 1 000 naissances à l’échelle de la planète. En Europe et dans bien d’autres endroits dans le monde, la population baisserait s’il n’y avait pas de migrations.

C’est dans les endroits du monde où la fécondité est la plus élevée que l’empreinte est la moindre

Par ailleurs, on ne peut pas uniquement se baser sur le nombre d’enfants par femme et la population pour réguler l’empreinte écologique. Ce ne sont pas tant le nombre d’enfants en plus qui importent que leur comportement en terme de mode de vie et aussi le mode de production. Il y a un là un paradoxe voire un problème éthique :  c’est dans les endroits du monde où la fécondité est la plus élevée que l’empreinte est la moindre. Même si la natalité baissait de 10 à 15 % en Afrique cela aurait un effet plus faible qu’une baisse minime de la natalité dans les pays occidentaux. La diminuer en Europe ou en Amérique du Nord voudrait dire imposer un modèle de l’enfant unique ou mener une politique publique de baisse de la fécondité – mais on sait alors quelles populations seraient visées et le retour à un « eugénisme social » n’est pas impossible et ne serait pas très moral…

L’argument écologique pour ne pas avoir d’enfant n’est-il pas bien souvent plus tolérable socialement qu’une affirmation d’un non désir d’enfant – socialement encore très peu acceptée – tout du moins en France ?

  • Rendez-vous le 2 février de 16 h à 17 h 30, salle de l'Aubette à Strasbourg.
     

Impact de l’environnement sur le développement des maladies chroniques ?

Stéphanie Blandin, responsable de l’équipe Réponses immunitaires chez les moustiques à l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire (IBMC – CNRS/Inserm)

On oppose souvent maladies infectieuses dues à des agents infectieux, et maladies chroniques dues à des facteurs génétiques ou environnementaux. Or de nombreuses maladies chroniques peuvent avoir une origine infectieuse. Pour ne citer que quelques-unes d’entre elles : les papillomavirus responsables de cancers du col de l’utérus, le parasite Schistosoma qui cause des cancers de la vessie, le Covid long après une infection au SARS-Cov2, ou encore le virus Zika à l’origine du syndrome de Guillain Barré chez certains malades et de microcéphalies chez les bébés exposés in utero. Sans oublier le virus du chikungunya qui veut dire "qui marche courbé en avant" en langue makondée et qui évoque la posture des personnes souffrant de cette maladie en raison des fortes douleurs articulaires qu’elle provoque et qui peuvent persister pendant plusieurs années.

65 cas autochtones de dengue ont été recensés en France métropolitaine

L’émergence de maladies tropicales telles que Zika, dengue, chikungunya, ou même la schistosomiase (ou bilharziose), dans les zones tempérées risque d’entrainer une augmentation des maladies chroniques liées à ces infections. En 2022, 65 cas autochtones de dengue ont été recensés en France métropolitaine, c’est plus que tous les cas recensés depuis l’apparition de cette maladie sur le territoire. L’émergence et l’expansion de ces maladies infectieuses à transmission vectorielle  auparavant restreintes aux tropiques, est due à plusieurs facteurs. Le changement climatique, qui permet aux moustiques et autres vecteurs de ces maladies de se développer dans de nouvelles régions où les conditions climatiques leur deviennent favorables. La mondialisation des échanges, qui favorise non seulement le transport de ces vecteurs vers de nouvelles zones, mais aussi le déplacement de personnes ou animaux infectés qui peuvent être à l'origine de nouveaux foyers d’infection dans des régions non-endémiques quand les vecteurs y sont présents, et enfin l’absence d’immunité dans les populations de ces régions.

Il reste donc essentiel de protéger les populations contre ces infections par la vaccination quand elle est possible, par le développement de nouveaux médicaments, de nouvelles stratégies de lutte anti-vectorielle, et par les efforts de chacun d’entre nous pour protéger notre environnement.

  • Rendez-vous le 2 février de 10 h à 11 h 30, salle de l'Aubette à Strasbourg.
     

L’écologie et la religion sont-elles compatibles ?

Frédéric Rognon, professeur de philosophie des religions à la Faculté de théologie protestante

Les relations entre religion et écologie sont tout sauf unilatérales : elles sont au contraire constamment marquées du sceau de l’ambivalence. L’exemple du protestantisme est sans doute le plus éloquent. On l’a en effet souvent accusé d’être à la fois le père du capitalisme (selon l’étude classique de Max Weber) et la version acérée de « la religion la plus anthropocentrique que le monde ait connue » (pour reprendre l’expression de Lynn White Jr.). Or, s’il est exact que les premières manifestations d’un productivisme échevelé se sont produites dans des pays de tradition protestante (notamment aux États-Unis), on relèvera également que c’est dans ces mêmes nations qu’apparaissent les premiers mouvements écologistes, les premiers parcs nationaux, les premières sociétés végétariennes, et les premières campagnes de résistance contre la construction de barrages ou contre la vivisection.

Le protestantisme a favorisé et légitimé aussi bien le poison que le contrepoison

En d’autres termes, le protestantisme a favorisé et légitimé aussi bien le poison que le contrepoison : aussi bien le venin prédateur que l’antidote salvateur. Et cela peut s’expliquer par l’examen des principes théologiques, des traditions herméneutiques et des positionnements éthiques spécifiques de cette confession. De même, des pays très éloignés de la tradition protestante (tels que la Russie soviétique et postsoviétique, la Chine et l’Inde) ont adopté des modèles économiques dévastateurs envers la planète. Ainsi, une analyse plus fine des corrélations entre religion, saccage de l’environnement et engagement écologiste, nous permettra de sortir de la pensée binaire ou manichéenne, pour adopter une approche résolument dialectique.

  • Rendez-vous le 2 février de 18 h à 19 h 30, salle de l'Aubette à Strasbourg.

Bioéthique et environnement(s)

L'édition 2023 du Forum européen de bioéthique se tiendra du 1er au 4 février dans la salle de l'Aubette à Strasbourg. La bioéthique a pour vocation l’étude des questions éthiques soulevées par l’évolution des techniques et de la médecine. Bien que la thématique écologique ne figurât pas dans la loi relative à la bioéthique, elle représentait tout de même 10 % des contributions obtenues lors de la consultation des États généraux de la bioéthique. Il est donc parfaitement logique et légitime que le Forum européen de bioéthique s’empare de cette thématique et y consacre une édition.

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