Faculté de médecine : « Notre vision est celle d’une faculté qui assume son ouverture et veille à développer l’esprit critique »
En novembre dernier, l’Université de Strasbourg était citée dans le rapport annuel de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), en raison de la présence de modules abordant la médecine anthroposophique parmi ses enseignements. S’en est suivie une vive polémique. Jean Sibilia, doyen de la Faculté de médecine, maïeutique et sciences de la santé, et Fabrice Berna, professeur de psychiatrie et membre du Collège universitaire de médecines intégratives et complémentaires (Cumic), reviennent sur cette polémique et apportent des éléments de réponses.
Quelle a été votre réaction à la lecture des critiques qui ont été adressées à la Faculté de médecine, à l’automne dernier ?
Jean Sibilia : Il est légitime de lutter sans concession contre toute dérive sectaire dans le champ de la santé, mais il est important de le faire en s’appuyant sur des éléments factuels. Contrairement à ce qui a été évoqué, la faculté ne délivre pas de diplôme de médecine anthroposophique ni d’homéopathie ! En revanche, notre faculté souhaite donner à ses étudiants une connaissance élémentaire des pratiques complémentaires, car dans leur pratique professionnelle, ils seront sollicités par des patients qui demandent une approche complémentaire. Cela fait une vingtaine d’années que la médecine intégrative, c’est-à-dire qui intègre les thérapies complémentaires à la médecine conventionnelle, est enseignée aux États-Unis et en Australie. Plus proche de nous, l’Allemagne a rédigé une charte des connaissances et compétences sur ce sujet, qui concerne tout médecin généraliste. En Suisse, les thérapies complémentaires sont même entrées à l’université, suite à une votation populaire, en 2009. Il y a une demande forte de la société, à nous d’y répondre. La Conférence de doyens de médecine nous invite aussi à cette structuration.
Quelle est la démarche de la Faculté de médecine de Strasbourg ?
Fabrice Berna : Nous pensons qu’il est essentiel d’informer nos futurs médecins sur la nature des différentes thérapies complémentaires , sur l’état de la recherche sur ces thérapies qui connaissent un essor important depuis quelques années et sur leur balance bénéfices-risques. Il est en effet important qu’ils sachent à quoi leurs patients ont recours et qu’ils s’abstiennent de critiquer sans savoir. Bien souvent les patients n’osent pas dire à leur médecin qu’ils ont recours à ces thérapies par crainte d’être jugés. Or bien intégrées aux soins classiques et pratiquées par des professionnels de santé qualifiés, les thérapies complémentaires peuvent être bénéfiques avec un risque maîtrisé. Le rôle d’un médecin est d’avoir une connaissance et/ou des compétences larges pour disposer d’un éventail d’outils et proposer la meilleure stratégie pour son patient. Cette question est complexe, il faut l’aborder avec humilité car il reste beaucoup de choses à découvrir, tout en restant dans une prudence critique pour éviter toute dérive.
J. S. : Notre vision est celle d’une faculté de médecine qui assume sa responsabilité sociétale. Notre démarche est celle de scientifiques, qui explorent de nouveaux champs de connaissances pour donner à nos étudiants autant d’outils que possible, tout en éveillant leur esprit critique. Cultivons la curiosité et l’ouverture d’esprit tout en renforçant l’esprit de rigueur de nos étudiants et de nos praticiens. Ne pas explorer de nouvelles pistes irait à l’encontre d’une démarche scientifique et humaniste. C’est comme si on avait empêché Claude Levi-Strauss d’aller découvrir de nouvelles cultures pour mieux comprendre les déterminants anthropologiques de nos sociétés si diverses.
De quoi parle-t-on quand on parle de « médecines alternatives » ?
J. S. : Il faut bien distinguer ce que nous appelons les thérapies ou pratiques complémentaires, qui viennent en complément des soins conventionnels d’une part, et d’autre part les pratiques de soins alternatives. La médecine intégrative, reconnue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), doit être coordonnée par un médecin rigoureusement formé, capable d’intégrer de façon raisonnée des pratiques qui ne relèvent pas de la médecine conventionnelle. Les soins et les pratiques alternatives, qui sont souvent sans fondement médico-scientifique, ne sont pas acceptables s’ils se substituent à un traitement conventionnel efficace. Ces pratiques, appelées aussi faussement médecines « douces » ou « naturelles », n’ont rien à voir avec une démarche médicale, ce qui explique qu’elles ne peuvent en aucun cas être recommandées aux patients.
Quels dispositifs ont été mis en place à la Faculté de médecine, maïeutique et sciences de la santé ?
J. S. : Nous allons tout prochainement mettre en place un observatoire des médecines complémentaires et intégratives pour disposer d’un regard critique sur la façon dont sont dispensés ces enseignements dans notre faculté. Il permettra d’écarter tout soupçon de prosélytisme ou de dérive sectaire dans notre faculté. Nous abordons aussi les débats suscités par ces pratiques, pour que nos étudiants puissent développer leur esprit critique. Fabrice Berna a créé récemment un module « Preuves, croyances, débats et controverses en médecine », dans lequel nous revenons sur des polémiques sanitaires récentes, pour que les étudiants apprennent à gérer l’incertitude à laquelle ils seront confrontés dans leur pratique professionnelle. Nous faisons également intervenir des sociologues, pour aborder certaines problématiques. Associer la médecine et les sciences humaines et sociales est très important, notamment pour répondre aux questions de société. Nous disposons d’ailleurs, avec le Département d'histoire des sciences de la vie et de la santé, du plus grand département de sciences humaines et d’histoire de la médecine de France.
F. B. : Je suis vice-président Formation du Collège universitaire de médecines intégratives et complémentaires (Cumic). Au sein de ce collège, nous avons établi des critères qualité pour les Diplômes d’université (DU) qui forment aux thérapies complémentaires et à la médecine intégrative. Nous allons évaluer tous ces DU en France pour nous assurer de leur sérieux et de leur rigueur scientifique, à l’aune de ces critères. C’est un travail long et méthodique, qui aboutira à l’automne 2023 à la publication sur le site du Cumic des DU évalués. Voilà un autre exemple qui montre comment il est possible de concilier ouverture d’esprit et rigueur scientifique.
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