Par Marion Riegert
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Étudier les tiques autrement

Souvent étudiées et évoquées dans les médias du point de vue de la médecine ou de l’écologie, des sociologues ont décidé de s’intéresser aux tiques autrement en interrogeant leurs représentations professionnelles et sociales en Argonne, espace rural entre Reims et Verdun. De leur recherche, ils ont fait un livre : « Des tiques et des hommes : chronique d’une nature habitable. Entre territorialisation, sanitarisation et responsabilisation. »

Qui ?

Cette étude a été menée de 2021 à 2023 par une équipe de sociologues du laboratoire Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe (Sage – CNRS/Unistra) de l’Université de Strasbourg, composée de Philippe Hamman et Aude Dziebowski, avec Sophie Henck et Carole Waldvogel. Elle s’inscrit dans le cadre du projet IdEx Université & Cité "Impacts des modifications socio-écologiques sur les maladies à tiques et leurs représentations professionnelles et sociales". Un projet interdisciplinaire de sciences participatives qui comporte également un volet santé publique porté par une autre unité strasbourgeoise :  Virulence bactérienne précoce. Le tout en lien avec la "Zone Atelier rurale en Argonne" du CNRS.

Quoi ?

Les deux chercheurs ont étudié les savoirs locaux, les représentations professionnelles et sociales et les pratiques vis-à-vis des tiques en Argonne, aussi bien en milieux fermés (forêts…) qu’ouverts (prairies…). Et ce à travers une enquête menée auprès de différents groupes sociaux : chasseurs, forestiers, agriculteurs, associations nature et loisirs. L’idée du projet est de confronter les acteurs sur le territoire, précise Aude Dziebowski.

Comment ?

Les sociologues ont mené une trentaine d’entretiens auprès des acteurs locaux. Un questionnaire en ligne a aussi été élaboré pour étudier les représentations et les pratiques liées à la chasse. Sans oublier des observations participantes lors d’une randonnée, la Grande traversée de l’Argonne, d’une battue de chasse, le suivi d’une journée de travail d’un technicien forestier, etc. J’ai participé à la battue. Même si j’ai été mise à rude épreuve, il pleuvait, c’était en plein mois de février, cela m’a permis d’apprendre plein de choses. J’ai notamment découvert l’existence d’un appareil à ultrasons pour éloigner les tiques, se souvient Aude Dziebowski.

Quels résultats ?

Schématiquement, il ressort de cette étude des savoirs très ancrés localement, note Philippe Hamman. Parmi les acteurs rencontrés, les agriculteurs se sentent finalement les moins concernés professionnellement par cette problématique, preuve de l’évolution du métier. Pour les forestiers, la tique n’est pas un risque qui se détache d’autres contraintes. Par exemple, s’ils sont équipés de guêtres et de vêtements de protection, c’est autant pour se protéger de végétaux piquants, de l’humidité, voire des chenilles processionnaires.

Nous avons mis en évidence un triptyque : avant, pendant, après le moment d’une exposition

Concernant la prévention, nous avons mis en évidence un triptyque : avant, pendant, après le moment d’une exposition. Le premier niveau étant l’évitement : ne pas aller dans les “zones à tiques” les plus perçues. Le deuxième : lors de la fréquentation du milieu, prendre des précautions vestimentaires. Le troisième : réaliser un contrôle corporel au retour, avec l’usage de tire-tiques, détaille Philippe Hamman. Un même discours va être reçu différemment en fonction du vécu de chacun et de ses représentations. Nous avons vu notamment qu’un mode de communication jugé alarmiste amène un effet de rejet d’une politique de prévention, complète Aude Dziebowski, qui évoque encore un changement de pratiques avec le développement d’un marché autour des tire-tiques.

Des chiffres côté chasseurs

À partir des 433 questionnaires collectés et 291 retours complets exploités, les chercheurs ont réalisé un livrable à destination des chasseurs leur permettant de communiquer sur le projet.

  • 30% des chasseurs déclarent que les tiques les inquiètent beaucoup.
     
  • 90% des répondants ont déjà été piqués plusieurs fois. Parmi eux, près d’1/4 déclarent avoir manifesté des symptômes. Plus de 15% ont déclaré consulter un médecin en cas de réaction après une piqûre de tique.
     
  • 59% des répondants perçoivent une augmentation des populations de tiques au cours du temps, en Argonne. L’exposition aux tiques serait maximale au printemps, en été et en automne… sans pour autant être nulle en hiver. Cela dit, l’exposition aux tiques peut aussi être la conséquence d’un vestimentaire moins protecteur en période estivale, soulignent les chercheurs.
     
  • Les facteurs climatiques sont le plus souvent cités (117 répondants) comme cause de l’accroissement de la présence des tiques en Argonne.
     
  • 50% des chasseurs utilisent des produits anti-tiques pour leurs animaux de compagnie.
     
  • Près de 85% des répondants ont déjà trouvé des tiques sur les animaux chassés. Les grands cervidés sont vus comme les plus importants hôtes des tiques.
     
  • La moitié des répondants déclarent choisir leurs vêtements en considérant les risques liés aux tiques. Mais seuls 11% disent remonter leurs chaussettes par-dessus le pantalon, et 8% porter des gants.
     
  • 73% des répondants pratiquent le contrôle corporel systématique après une chasse. 1/3 des chasseurs disent avoir un tire-tique à disposition lors de leurs sorties et les 3/4 disent retirer la tique avec cet outil.

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