Par Marion Riegert
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Discours autour des violences obstétricales, quelle influence sur les professionnels ?

Mélanie Jacquot, chercheuse au laboratoire Subjectivité, lien social et modernité (Sulisom), s’intéresse aux effets des discours sociaux autour des violences obstétricales sur les pratiques professionnelles. Une recherche pour laquelle elle a obtenu un financement exploratoire de l’Initiative d’excellence.

Notre laboratoire de recherche, Sulisom, a une tradition de recherche autour des violences. Suite à la sollicitation d’un chef du pôle de gynécologie obstétrique de Strasbourg et d’une rencontre avec ses équipes, nous avons constitué un groupe de recherche pour étudier les discours sociaux autour des violences obstétricales. Il associe des chercheuses du laboratoire qui s’intéressent à la question des effets des discours sociaux sur la subjectivité, des psychologues cliniciennes de terrain et des étudiantes, explique Mélanie Jacquot.

Rapidement, deux axes d’exploration se dégagent : Les effets de ces discours sociaux sur les femmes d’un côté, et sur les pratiques des professionnels de la naissance de l’autre, rendant compte de deux réalités bien différentes, vécues durant un même évènement.

Une confusion des registres 

Au début de la recherche une obstétricienne nous disait qu’un accouchement, de toute façon, c’est violent. Utiliser les discours sociaux actuellement disponibles et se les approprier, ne pourrait-il être une façon de donner du sens à cet évènement traumatique, faisant passer une parole souvent prononcée de “J’ai eu un accouchement difficile” à “J’ai subi des violences obstétricales” ? Dès lors se crée, pour la femme une scène sur laquelle se jouent des rapports de domination. Et ce, dans un contexte de libération de la parole des femmes dans de nombreux domaines.

Mais qu’en est-il des effets de ces discours largement diffusés notamment par les réseaux sociaux, sur la pratique même des professionnels, qui sont impliqués, parce qu’il s’agit d’une activité de travail, dans un registre bien différent ?, s’interroge la chercheuse qui évoque deux positions, celle de victime et celle d’auteur, introduisant l’idée d’une intention de ce dernier. Ici se loge une confusion des registres, l’intention de nuire à sa patiente ne relevant pas du domaine de la pratique médicale.

Un impact sur les relations des soignants avec leurs patientes

Pour avoir un premier état des lieux, Mélanie Jacquot mène douze entretiens individuels d’une heure environ avec des gynécologues obstétriciens hospitaliers, des sages-femmes en milieu hospitalier et des sages-femmes libérales de la région Grand Est. Ce sont des entretiens non directifs à l’aide de questions ouvertes. L’idée étant que les questionnements ne sont pas les mêmes en fonction du lieu d’exercice, du genre mais aussi du métier exercé.

Demander de façon systématique le consentement pour chaque acte

Après une première analyse, il ressort que ces discours sociaux viennent impacter les relations des soignants avec leurs patientes, avec la peur du procès en filigrane. On retrouve par exemple, chez les professionnels, l’idée qu’une femme va plus facilement dire qu’elle a été victime de violences si on ne lui a pas suffisamment expliqué. Certains gynécologues vont être soucieux de cela et demander de façon systématique le consentement pour chaque acte, ce qui est certes recommandé dans le guide des bonnes pratiques. Mais appliquer des prescriptions entrave parfois leur disponibilité d’écoute et d’attention à la singularité de la prise en charge d’une femme qui accouche.

Ne pas prendre le risque que la patiente dise non

Le « recueil du consentement » se heurte aussi parfois à la dimension de l’urgence, lorsque la question vitale est engagée. Une sage-femme me disait que dans une situation d’urgence elle ne demande pas le consentement pour ne pas prendre le risque que la patiente dise non.

D’une durée de deux ans, cette première phase d’analyse qui bénéficie d’un financement exploratoire de l’Initiative d’excellence permettra de développer une deuxième phase dans une démarche compréhensive de la situation, appuyée sur la méthodologie de l’enquête développée par la psychodynamique du travail de Christophe Dejours. 

Nous souhaiterions constituer un groupe de professionnels pour les faire se rencontrer et échanger sur les effets de ces discours sur leurs pratiques auprès des femmes. Cela permettra de relever les difficultés rencontrées pour repérer le moment où des tensions les mettent en difficulté et ce qu’ils mobilisent pour les résoudre. Et ainsi continuer à faire leur métier malgré ce qui semble bien être une crainte profonde.

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