Par Elsa Collobert
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Cinq questions sur la dissolution de l'Assemblée nationale

Prenant acte du résultat des élections européennes, le président de la République Emmanuel Macron a annoncé à la surprise générale la dissolution de l'Assemblée nationale, dimanche 9 juin. Des élections législatives anticipées sont organisées pour élire de nouveaux députés, les 30 juin et 7 juillet prochains. Éléments d'explication avec Benjamin Lecoq-Pujade, professeur de droit public.

Quel mécanisme constitutionnel est mis en œuvre ?

La dissolution de l'Assemblée nationale est prévue par l'article 12 de la constitution de la Ve République française, qui régit le régime parlementaire français depuis 1958.
En France, c'est un pouvoir propre au président de la République. Un droit quasi-discrétionnaire, car il n'est encadré que par peu de conditions : consultation préalable (purement formelle) du Premier Ministre et des présidents des chambres ; aucune justification nécessaire ; délai d'un an avant une nouvelle dissolution.

Quel historique ?

Le pouvoir de dissolution est le fruit d'une longue histoire du parlementarisme français. Il a beaucoup été utilisé comme mécanisme de résolution de crises : sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, culminant dans la crise de 1877 (IIIe République) qui oppose un président royaliste à une Chambre des députés majoritairement acquise à la République. Elle aboutit à l'effacement du président de la République. Le droit de dissolution ne sera plus utilisé qu’une seule fois jusqu'à l’instauration de la Ve République, en 1958.

Dans un mouvement de balancier inverse, cet effacement du droit de dissolution laisse le champ libre aux mécanismes d’engagement de la responsabilité politique du gouvernement par la chambre (motion de censure, refus de confiance), dont l’utilisation intensive génère une forte instabilité ministérielle, particulièrement sous la IVe République.
A son arrivée au pouvoir, le général de Gaulle, qui imagine une constitution à sa mesure, pense dissolution et motion de censure comme fonctionnant à la manière de contrepoids, dans une optique de rééquilibrage.

L’efficacité du dispositif de la dissolution réside dans son caractère dissuasif

Et cela fonctionne : la motion de censure est très encadrée et très peu utilisée ; la dissolution annoncée par le président Macron il y a quelques jours, effective depuis le 10 juin, est seulement la sixième de la Ve République. Signe que l’efficacité du dispositif réside en grande partie dans son caractère dissuasif, et preuve de la stabilité du régime. Elle a été utilisée deux fois sous le général de Gaulle (1962 et 1968), deux sous François Mitterrand (1981 et 1988), une fois sous Jacques Chirac (1997), avec des causes et des conséquences différentes (lire encadré).

Quelles conséquences ?

Nous sommes aujourd’hui face à une situation de relatif vide institutionnel du côté du Parlement : la dissolution a immédiatement interrompu la 16e législature, mettant fin au mandat des députés élus en 2022. Tous les travaux en cours – examen des lois, commissions – sont rendus caduques.

Cela ne concerne pas le Sénat. Mais, selon une tradition républicaine, il ajourne tout de même ses travaux jusqu’aux élections législatives.

La prochaine assemblée sera élue pour cinq ans, désynchronisant, pour la première fois depuis l’entrée en vigueur du quinquennat (2002), le mandat présidentiel et le mandat des députés (lire encadré). Mais on peut s’attendre à une nouvelle dissolution après l’élection présidentielle de 2027, pour l’obtention d’une majorité ; tout dépendra de la couleur de l’assemblée qui sortira des urnes en juillet prochain, et de qui sera élu à la tête de l’État dans trois ans.

Quelles motivations entrent en jeu ?

Il est important de souligner que le président de la République n’a pas attendu que les résultats des élections européennes soient consolidés, dimanche soir, pour annoncer la dissolution.

Ce qui a fait dire à certains que cette manœuvre se préparait depuis plusieurs semaines, et qu'il n'attendait qu'un prétexte. Dans un contexte de majorité relative, il voyait venir le blocage institutionnel, notamment à l'automne prochain avec le débat budgétaire. C’est aussi une tactique politique, visant à une remobilisation des électeurs, renvoyant dos-à-dos les oppositions de droite et de gauche que le président accuse (notamment La France insoumise) d’avoir rendu l’assemblée ingouvernable. Sauf qu’on ne gouverne pas une assemblée : on gouverne avec.
Pour certains analystes, la dissolution de 2024 serait un mélange de 1968 dans ses motivations institutionnelles (solliciter un regain de confiance des électeurs, dans un contexte de crise de légitimité de l’exécutif) et 1997 pour le contexte économique et social (crise et réforme des retraites contestée).

À ceci près que ni l’une ni l’autre n’étaient consécutives d’une défaite électorale : c’est la première fois, sous la Ve République, que la dissolution est utilisée pour tirer les conséquences d’un désaveu du pouvoir en place lors d’une élection intermédiaire. On se garderait donc bien d’analyser l’épisode trop à chaud, sans le recul nécessaire pour en tirer les leçons.

Un calcul politique risqué ?

C'est indéniablement un pari. Il faut, là aussi, se garder de projections trop hâtives, allant soit dans le sens d’une victoire écrasante du Rassemblement national, soit dans celui d’une remobilisation des abstentionnistes pour lui « faire barrage ». On ne peut pas calquer les résultats des législatives sur les européennes : les modalités des deux scrutins sont différentes (lire encadré). Des enjeux locaux vont aussi se mêler aux stratégies d’alliance, qui donneront lieu à de probables triangulaires au second tour…

Tout cela est marqué par une confusion des genres, partagée par l’ensemble de la classe politique et alimentée par le président lui-même : les élections européennes ont été menées, et leur résultat est interprété, à la manière d’un scrutin national, au point de se traduire, sur le plan intérieur, par une solution inédite ouvrant une crise politique d’une rare intensité.

Quatre nuances de dissolution

Benjamin Lecoq-Pujade souligne qu’il existe une typologie des dissolutions sous la Ve République :

  • 1962 : « le cas d’école »
    Exact inverse de la crise de 1877, l'arme de la dissolution est utilisée en réaction à une motion de censure de l'Assemblée nationale contre le gouvernement de Georges Pompidou, dans le débat relatif à l’organisation du référendum sur l’élection du président au suffrage universel direct. Le président en appelle aux électeurs pour trancher un conflit entre pouvoir législatif et exécutif.
  • 1968 : « un vote de confiance »
    A la fois crise sociétale et contestation de la légitimité du pouvoir, Mai 68 fait vaciller le pouvoir du général de Gaulle. Dans une interprétation plébiscitaire du droit de dissolution, il en appelle au corps électoral pour lui renouveler sa confiance et discréditer ses adversaires de gauche, qu’il juge responsables de la crise.
  • 1981 et 1988 : les « correctives »
    Jusqu’en 2002, élections présidentielle et législatives sont « désynchronisées » : organisées tous les sept ans pour la première, cinq pour les secondes. Cela pouvait conduire à une situation politique particulière : la cohabitation. Le président, se retrouvant sans majorité pour gouverner, doit alors partager le pouvoir avec un Premier ministre de bord politique opposé. Solution : dissoudre l’assemblée à l’issue de l’élection présidentielle, pour profiter de l’effet d’aubaine de cette dernière et s’assurer une majorité pour cinq ans. C'est ce qu'il se passe à la suite des deux élections de François Mitterrand.
  • 1997 : « la dissolution de confort »
    Motivé par la volonté de s'assurer une majorité plus confortable, deux ans après son arrivée au pouvoir, Jacques Chirac dissout l'assemblée. Pari raté : fragilisé par la réforme des retraites de 1995, il n'obtient pas de majorité. C'est la cohabitation avec le gouvernement de Lionel Jospin, issu de l'opposition.

Les cohabitations successives (1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002) aboutiront à la réforme constitutionnelle de 2000, instaurant le quinquennat. Élections présidentielles et législatives sont désormais synchronisées.

Élections européennes vs législatives

Européennes : scrutin de liste à représentation proportionnelle, en un tour : les listes ayant obtenu plus de 5 % obtiennent un nombre de sièges calculé proportionnellement au nombre de voix. Se joue à l'échelle d'une circonscription nationale unique.

Législatives : scrutin majoritaire uninominal majoritaire à deux tours. Un seul poste de député à la clé. Se joue à l'échelle de 577 circonscriptions.

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