Une nouvelle voie dans la synthèse des éléments superlourds à l’aide du titane-50
Le tableau de Mendeleïev se compose actuellement de 118 éléments chimiques. L’équipe de recherche sur les éléments superlourds du laboratoire national Lawrence-Berkeley vient d’apporter une preuve de concept ouvrant une nouvelle voie pour synthétiser et observer l’élément 120. La découverte, à laquelle Benoit Gall et ses collègues de l’Institut pluridisciplinaire Hubert-Curien (IPHC - Unistra/CNRS) ont participé, a fait l’objet d’une publication dans la revue Physical Review Letters.
Des expériences réalisées par des scientifiques russes en collaboration avec les Américains ont permis de découvrir les éléments les plus lourds connus à ce jour, avec notamment l’oganesson (Z=118). Pour synthétiser un élément superlourd, les chercheurs utilisent la fusion de deux atomes "cible" et "faisceau". Dans leur quête de l’élément 120, jamais observé, ils optent pour le titane-50 en guise de faisceau. Il bénéficie d'un excès de liaison apporté par des effets quantiques qui permettent de stabiliser la réaction
, explique Benoit Gall.
Afin de fournir l’énergie et l’intensité de faisceau nécessaires à la découverte de nouveaux éléments chimiques, l’équipe russe de Yuri Oganessian construit l’usine à éléments superlourds - la SHE-factory à Dubna. A l’IPHC, nous avons développé des composés chimiques volatils (MIVOC) isotopiques et un four à induction miniature d’un centimètre cube pouvant fonctionner à plus de 2 000 degrés de façon continue. Ces deux avancées permettent de délivrer aux sources d’ions la quantité de titane nécessaire à la production de faisceaux de plus de 1 013 particules par seconde, faisant entrer la France dans la collaboration.
Une preuve de la faisabilité
Pour la cible, les scientifiques optent pour le californium-249 (Z=98), un composé rare fabriqué dans le réacteur à haut flux d’Oak-Ridge. Avant que les Américains n’envoient la cible de californium-249 aux Russes, l’expérience devait être validée sur l’élément 116, le livermorium (Lv) avec des tests utilisant le titane-50 (Z=22) comme cible.
Mais la collaboration est stoppée par la guerre entre la Russie et l’Ukraine. L’équipe de Benoit Gall poursuit alors les recherches avec le laboratoire de Berkeley qui a développé son propre four à induction.
Deux analyses indépendantes et parallèles
Dans l’étude parue dans la revue Physical Review Letters, pour laquelle les chercheurs de l’IPHC ont mené une des deux analyses indépendantes et parallèles, le livermorium-290 est synthétisé en bombardant une cible de plutonium-244 (Z=94) avec du titane-50. Cette expérience apporte une preuve de la faisabilité de la synthèse de l’élément 120 avec un faisceau de titane-50, mais aussi une estimation du temps qu’il nous faudra pour le produire !
, se réjouit Benoit Gall.
Rendre l’impossible possible
Ce qui est intéressant, c’est que ce résultat s’inscrit dans des probabilités moins pessimistes que ce que nous pensions. Ce sont des éléments radioactifs, il faut non seulement fabriquer l’élément, mais qu’il survive assez longtemps pour être observé. Tout cela dépend de l’énergie de faisceau utilisée, si elle est trop forte l’élément se désintègre immédiatement
, poursuit le physicien qui précise qu’en 2019 déjà, les chercheurs avaient pu étudier la fission de l’élément 120 grâce à un faisceau MIVOC de chrome-54 (Z=24), mais pas sa survie.
Début décembre, le chercheur est retourné à Berkeley pour tenter de trouver l’énergie optimum permettant de maitriser la production des faisceaux. Il faudra ensuite obtenir les autorisations et faire les aménagements nécessaires à l’utilisation de la cible : le californium-249, très radioactif. Lorsque nous aurons le feu vert, l’expérience sera réalisable en quelques mois. Nous allons tenter de rendre l’impossible possible
, glisse le chercheur qui collabore également avec les Japonais pour dénicher l’élément 119. De leur côté, les Russes ont continué seuls leurs expériences. En utilisant nos composés isotopiques volatils, ils sont également parvenus à valider le concept. Ces résultats en cours de publication confortent cette faisabilité avec finalement trois résultats cohérents d’expériences indépendantes.
Pour aller plus loin, lire aussi : “A la recherche de l’élément 120 du tableau périodique des éléments” et l'article du CNRS “Les faisceaux métalliques intenses ouvrent la voie à la synthèse de nouveaux éléments superlourds”
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