Par Marion Riegert
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Un symposium à « Strasbourg, le creuset de l’aminoacyl-ARNt synthétase en France »

Ils sont plus d’une cinquantaine de laboratoires dans le monde à étudier les aminoacyl-ARNt synthétases (aaRS), des enzymes essentielles à la synthèse des protéines. Pour valoriser les travaux strasbourgeois, pionniers en la matière et offrir aux étudiants l’opportunité de rencontrer des chercheurs internationaux reconnus dans le domaine, le symposium StraARS2023 se tient au Palais universitaire fin mai. Une véritable réunion scientifique au service de l’histoire et de la vie.

Aminoacyl-ARNt synthétases (aaRS) ? Derrière ce nom quelque peu barbare pour les néophytes, se cache un élément central de nos cellules : « Le code génétique ». L’aminoacyl-ARNt synthétase est responsable de l’attachement de chaque acide aminé à son ARN de transfert et donc responsable du bon décodage de l’information génétique contenue dans nos gènes en protéines, explique Hubert Becker, chercheur au laboratoire de Génétique moléculaire, génomique, microbiologie (GMGM – CNRS/Unistra). Une dérégulation de leurs activités induit de nombreuses maladies neurodégénératives mais aussi certains cancers.

Une histoire de rencontres

Depuis plus de 50 ans, les chercheurs strasbourgeois sont leaders dans l’étude des fonctions et des structures en trois dimensions des aaRS. Il y a près de 150 chercheurs qui travaillent sur ce sujet de recherche à travers le monde. Quand je suis arrivé à l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire (IBMC – CNRS/Unistra) en 1992, il y avait une remarquable concentration de spécialistes du domaine, de matériel et de compétences, faisant de Strasbourg, le creuset de l’aminoacyl-ARNt synthétase en France, sourit le chercheur.

L’idée de lui dédier un symposium est née d’une série de rencontres. D’abord, celle de Pierre Antony, ingénieur du CNRS à l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC - CNRS/Unistra/Inserm), lorsqu’il est étudiant avec les travaux de Dino Moras, pionnier du domaine, aujourd’hui professeur émérite à l'IGBMC. « Une de ses publications dans Nature en 1990 sur les aminoacyl-ARNt synthétases me trottait dans la tête depuis des années », raconte Pierre Antony qui souligne, avec Dino Moras et Hubert Becker, son envie de transmettre.

Aller vers de nouvelles frontières

Il y a une idée de partage de la science avec les plus jeunes qui ne savent pas toujours ce qui s’est fait historiquement à Strasbourg, précise Pierre Antony qui évoque la présence de grands noms du domaine à l’international. Soit 18 intervenants, parmi lesquels trois académiciens des sciences… Nous souhaitons que les étudiants aient accès à ces chercheurs d’un niveau exceptionnel pour développer leur carrière, créer des collaborations, ajoute Hubert Becker.

Il y a la possibilité aujourd’hui d’aller vers de nouvelles frontières et de les franchir

Au-delà de l’aventure humaine et scientifique des aminoacyl-ARNt synthétases, le symposium vise également à montrer les nouvelles pistes de recherche fondamentale et clinique dans le domaine. Nous ne sommes pas arrivés au bout de la diversité de fonction de cette famille d’enzymes. Il y a la possibilité aujourd’hui d’aller vers de nouvelles frontières et de les franchir avec notamment la cryomicroscopie électronique, une technique d’imagerie, et de nouveaux instruments qui permettront de suivre les enzymes dans leur vie cellulaire, conclut Dino Moras

Dino Moras et les aminoacyl-ARNt synthétases

Chimiste de formation, Dino Moras se tourne vers la biologie lors de son post-doctorat aux Etats-Unis auprès de Michael Rossmann, un physicien de formation et structuraliste des protéines et virus, à l’Université de Purdue (Indiana, USA). A son retour en 1974, à l’Institut de chimie de Strasbourg, il détermine grâce à la cristallographie la deuxième structure tridimensionnelle d’un ARN de transfert, visible aujourd’hui dans l’amphithéâtre de l’Institut de physiologie et de chimie biologique. En 1980, Dino Moras crée le Département de cristallographie biologique de l’IBMC. Un des rares endroits où l’on purifiait les ARN de transfert, une pièce entière était d’ailleurs consacrée à la machine. La cristallographie était alors le seul moyen d’observer en 3D ce qu’il se passait, se souvient Dino Moras.

Dix années plus tard, l’équipe de Dino Moras est la première à mettre en évidence l’existence de deux classes distinctes d’aminoacyl-ARNt synthétases chacune pour 10 des 20 acides aminés du code génétique. Nous pensions qu’il y avait une famille unique d’aminoacyl-ARNt synthétases, Dino Moras a vu qu’il y avait deux classes différentes. Une année plus tard l’équipe publie la première structure tridimensionnelle d’une aminoacyl-ARNt synthétase de classe 2 en complexe avec son ARN de transfert (celui dont la structure avait été établie en 1980). A l’époque on ne savait pas à quoi ressemblait une aminoacyl-ARNt synthétase de classe 2, ni comment elle reconnaissait spécifiquement son ARNt, glisse Hubert Becker.

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