Sur les traces de l'édition d'une correspondance inédite de Jean Cocteau
Guy Ducrey, chercheur au sein de l'équipe d'accueil Configurations littéraires, revient sur la genèse de son édition de l’ouvrage "Cocteau, l'opium aux trousses", paru dernièrement aux Presses universitaires de Strasbourg. Une correspondance inédite, entre l'auteur que l'on ne présente plus et un jeune prince roumain, découverte chez un cardiologue retraité de Saverne.
Cocteau, l’opium aux trousses est un récit de vie de Georges Greciano (1906-1976), jeune diplomate issu de la noblesse roumaine. Il raconte l’amitié épistolaire qu’il a entretenue en 1928-1929, tandis qu’il avait 22 ans, avec celui qui était alors l’un des artistes les plus éminents au monde, Jean Cocteau. Pourquoi est-il important de publier un tel document ?
Jean Cocteau (1889-1963) a entretenu tout au long de sa vie de multiples correspondances. Mais rares sont celles qui nous soient parvenues dans leur intégralité. Celle de Georges Greciano en fait partie, et n’avait jamais été vue par le grand public jusqu’à ce jour. C’est en soi un élément capital pour la connaissance de l'œuvre et l’analyse de la personnalité de l’un des artistes qui ont le plus compté dans la culture française. Ces lettres, parfois enrichies d’illustrations, ont été échangées dans un moment particulier de la vie du poète, lorsqu’il était en cure de désintoxication aux frais de Coco Chanel. Elles nous révèlent des aspects encore méconnus de sa vie intérieure et de sa création. Mais surtout, plusieurs d’entre elles contiennent des conseils donnés par l’écrivain, déjà célèbre, à un jeune aspirant romancier. Elles présentent à ce titre un intérêt littéraire exceptionnel.
Comment ce manuscrit écrit en hiver 1964, dont jamais personne n’avait encore entendu parler, est-il arrivé entre vos mains ?
En plein confinement, j’ai reçu un courriel signé d’un nom que je ne connaissais pas : Rodolphe Greciano. Cardiologue retraité à Saverne, et époux d’une professeure émérite de linguistique allemande de notre université, il me dit qu’il est en possession d’un manuscrit de son père Georges, resté dans les tiroirs depuis la mort de ce dernier en 1976. Ce récit contient des lettres et des dessins signés de la main de Cocteau. Arrivé à un âge respectable, il aimerait bien le publier : cela m’intéresse-t-il ? Je lui réponds que si je ne me suis penché qu’occasionnellement sur l’œuvre de Cocteau dans mon travail d’universitaire, Le Passé défini, son journal tenu entre 1950 et sa mort, est l’un de mes livres de chevet. Je demande donc à mon mystérieux correspondant de me transmettre son document, pour que je puisse me faire une idée de l’intérêt réel de la chose.
Je découvre alors, par-delà les documents inédits liés à Cocteau lui-même, un formidable texte littéraire d’un jeune prince roumain des années 1920, lettré mais issu d’une famille dans laquelle écrire était mal ou peu considéré, diplomate, voyageur, futur résistant, qui raconte une amitié tragique, un traumatisme intime duquel il ne s’est jamais vraiment remis. À partir de là, toutes les conditions étaient réunies pour faire une édition critique et scientifique de ce texte.
Comment vous-y êtes-vous pris ?
Avec Rodolphe Greciano, auteur d’une postface dans laquelle il raconte son histoire familiale, nous avons entrepris une relecture critique et scientifique de ce récit en remontant le fil de l’histoire de la famille Greciano. Comme ce récit raconte la naissance et la fin brutale d’une amitié, nous avons cherché des explications à ce triste épilogue, contextualisé la moindre allusion, vérifié la véracité des propos et des événements rapportés en les confrontant aux écrits de Cocteau lui-même.
En publiant cet ouvrage aux Presses universitaires de Strasbourg (PUS), notre volonté est d’une part d’évoquer toute la complexité psychologique, morale et artistique de la personnalité de Cocteau et de replacer sa production dans l’Europe centrale d’avant-guerre, où sa réputation s’était étendue. D’autre part, nous avons espoir que ce livre, avec son récit poignant, permette à Georges Greciano, près de cinquante ans après sa mort, de devenir enfin l’écrivain qu’il avait toujours rêvé d’être.
- Cocteau, l’opium aux trousses. Correspondance inédite et illustrée avec le poète (1928-1929). Un livre de Georges Greciano et Guy Ducrey, paru dans la collection « Configurations littéraires » des Presses universitaires de Strasbourg.
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