Par Anaëlle Arbogast /Juliette Hausen
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Si j’étais… un adverbe

Série « Si j'étais » 4/6. Vous devez certainement vous demander : « Mais qu’est- ce qu’il fait là celui-là ? ». Bonne question ! A vrai dire, ces dernières années, de plus en plus de gens ne me connaissent pas bien. Il est temps d’y remédier. Grâce à l’enseignante-chercheuse en linguistique Francine Gerhard-Krait, levons le voile sur ma nature hors du commun !

Moi, élément d’exception…

Je suis un adverbe, et je suis difficile à cerner. Comment poser des mots sur ce que je suis, sans dénaturer ma personne ? Le commun des mortels dit de ma classe qu’elle est une aberration, qu’on y met tout dedans : un vrai « fourre-tout ». Je ne suis point de cet avis. Certes, l’adverbe est une classe hétérogène : manière, temps, lieu, intensité, et j’en passe. Mais c’est mon côté altruiste. J’accueille tout le monde, je suis considéré comme “classe par défaut”. Si vous ne savez pas où ranger un mot, il y a beaucoup de chances que ce soit moi. 

Je suis un peu libertin : j’entretiens beaucoup de relations

Vous connaissez l’adage : « l’adverbe est au verbe ce que l’adjectif est au nom ». Vous pensez que je ne suis qu’un adjuvant du verbe comme l’adjectif le serait au nom ? Détrompez-vous, j’ai bien plus de pouvoir et d’influence que vous ne l’imaginez. Je suis un peu libertin : j’entretiens beaucoup de relations. Phrase, verbe ou adjectif, je prends tout. Vous ne me verrez jamais deux fois avec la même personne. Je peux donc occuper plusieurs fonctions, et ce à différents niveaux de la phrase ! 

Les rumeurs disent que je ne me change jamais, et que, probablement, je ne me lave pas. Mais après tout, je suis invariablement le même, c’est dans ma nature. Qui a besoin de terminaisons, comme ces gueux de verbes ? Mais, ne me sous-estimez pas, j’ai beau ne compter que peu de néologismes, je me renouvelle comme toutes les autres classes. Les jeunes de nos jours inventent tout un tas d'adverbes. Demandez-leur de parler sans utiliser l’adverbe “genre” et vous verrez que les phrases deviennent vides !

On ne peut pas me tester… 

J’ai ouï dire que les linguistes ne pouvaient pas aborder la langue avec des méthodes scientifiques et que ce serait une matière abstraite. C’est faux, les linguistes ont mis en place des tests pour la décrire ! Les plus courants : celui de l'invariabilité et de la suppression. 

D’ailleurs, vous savez quand je vous ai dit que j’étais invariable ? Je vous ai un peu menti… Oups ! Ce petit filou de tout ; toute ; toutes échappe à cette règle. 

Parfois on a besoin de moi, parfois non. Je suis essentiel dans certains contextes, comme Je suis là, ma star.  « Là » n’est pas supprimable, « je suis » tout seul, ça ne veut rien dire, à part si on est Descartes. Mais dans : Je suis totalement parfait, « totalement » peut être supprimé mais il n’enlève rien à ma perfection. Et toc ! Encore une fois, je vous surprends, le test de facultativité ne s’applique toujours pas à moi. 

La fabrication des adverbes ne se limite pas à l’ajout d’un simple affixe

Et enfin, impossible de me trouver un schéma de formation « stable ». Certains adverbes sont faciles à reconnaître et à décrire : ceux en -ment. Ils sont dérivés d’adjectifs auxquels on ajoute le suffixe -ment : convenablement, franchement, inexorablement. Néanmoins, la fabrication des adverbes ne se limite pas à l’ajout d’un simple affixe. 

Prenez Maintenant, ou aujourd’hui, leur origine est bien plus lointaine, il nous faut remonter à l’Ancien français ! Maintenant vient d’une « main » « tenant ». Aujourd’hui, c’est au jour et d’hui : « le jour où l’on est ». Pour la petite anecdote, hui, ça veut dire « en ce jour » en ancien français. Donc aujourd’hui constitue un pléonasme. Alors lorsque vous dites « au jour d’aujourd’hui », vous avez l’air simple à répéter trois fois la même chose ! Voilà, ce soir vous vous coucherez plus érudit. 

Pour conclure, je suis « unique ». Après tout, je suis le mot le plus long de la langue française. Essayez d’écrire anticonstitutionnellement pour voir !  

Le parcours de Francine Gerhard-Krait

Enseignante-chercheuse depuis 2002, Francine Gerhard-Krait a commencé par une licence de lettres, avec une mention en Français langue étrangère (FLE), avant qu’elle ne poursuive avec une maîtrise en FLE, puis un diplôme d’études approfondies (DEA) en sciences du langage.

Sa thèse portait sur la morphologie lexicale des verbes préfixés par dé-, cherchant à déterminer s’il en existait plusieurs et s’ils donnaient lieu à plusieurs schémas de construction. Depuis, ses recherches se sont orientées vers la construction lexicale, notamment autour du préfixe re-, ainsi que sur les problématiques de sémantique lexicale. Actuellement dans l’unité de recherche de Linguistique, langues, parole (Lilpa-Unistra), son travail se concentre autour de trois axes, le lexique et le discours, les variations du langage et les fonctionnements de la langue dans la société. La recherche en linguistique se fonde sur la compréhension du langage et de son fonctionnement dans toutes ses dimensions. Il s'agit d'éclairer comment les structures de la langue conduisent à l’interprétation.

La série si j'étais

Dans le cadre d'un atelier de vulgarisation scientifique, des étudiantes et des étudiants sont partis à la rencontre de chercheuses et de chercheurs. Objectif : rédiger un article destiné à présenter un sujet d’étude scientifique et le faire parler à la première personne du singulier.

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