Par Myriam Niss
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Quand l’opéra résiste…

Ce vendredi 29 avril, une journée d’étude réunit à la Bibliothèque nationale et universitaire (BNU) des musicologues, des juristes, des historiens, des musiciens autour de « La dénonciation de l’oppression et de l’injustice à l’opéra ». Quentin Urban, professeur émérite de droit et co-initiateur du projet, en livre les objectifs.

D’où est venue l’idée de cette thématique quelque peu inattendue ?

Le contexte social ou politique est très peu évoqué lorsque l’on parle de l’opéra. On se contente en général d’apprécier les voix, de commenter la mise en scène, de critiquer les décors… mais on parle peu du contenu idéologique. Pourtant, beaucoup d’œuvres abordent des thèmes liés à la défense des libertés publiques, à l’oppression et aux discriminations. Cette journée d’étude, organisée par l’Institut de recherches Carré de Malberg et la BNU, entend élargir le regard sur l’opéra, en réfléchissant à ce qu’il peut transmettre. Nous avons la chance d’avoir pu inviter notamment l’historienne Jane Fulcher, grande spécialiste de l’histoire culturelle de la musique, qui investigue le domaine peu fréquenté des rapports entre la musique et la politique.

Certaines œuvres révèlent ces liens de façon particulièrement concrète…

L’exemple de La Muette de Portici, un opéra de Daniel-François-Esprit Auber, créé le 29 février 1828 à l'Opéra de Paris et qui parle d’une révolte des pêcheurs napolitains contre l’occupation espagnole, est tout particulièrement parlant. Repris en Belgique deux ans plus tard, l’œuvre suscite l’insurrection des Belges contre l’occupant néerlandais.  

Un autre exemple en est Jacques Offenbach, réputé pour ses opérettes « légères ». Il a su se montrer très impertinent et critique avec les autorités, tout en bénéficiant d’une réception très populaire. Son opéra Barkouf (1860) met au pouvoir… un chien ! Cet opéra a disparu pendant 150 ans… et c’est à Strasbourg qu’il a été redonné pour la première fois, en 2018.

Des opéras dénoncent le colonialisme, comme Bolivar (1943), de Darius Milhaud. D’autres prônent l’émancipation des femmes : Louise (1900), de Gustave Charpentier, exprime la révolte d’une jeune fille amoureuse qui se confronte à ses parents et quitte sa famille.

Les intentions peuvent venir des librettistes et des compositeurs. Mais une fois écrit et composé, un opéra appartient avant tout à celui qui le met en scène. Un livret peut être largement détourné. Un exemple : l’opéra Lulu, d’Alban Berg, créé en 1937 d’après le roman de Frank Wedekind La boîte de Pandore, qui présente l’héroïne comme la proie de dépravés, a vu les rôles se renverser dans la mise en scène en 1979 de Patrice Chéreau, où c’est Lulu qui va s’imposer aux hommes. Car peu importe l’intention, c’est la mise en scène et le contexte politique et social entourant la réception des œuvres par le public qui prévalent. L’œuvre traverse le temps et, comme le disait Pierre Boulez, la fidélité n’a plus de sens.

Cette journée d’étude propose une approche diversifiée…

La thématique exige une démarche pluridisciplinaire, qui convoque la musicologie, mais aussi l’histoire, le droit, l’écriture…  Les exemples développés par les différents intervenants offrent une grande diversité tant en ce qui concerne les époques des différentes oeuvres que par les thèmes d’oppression et de résistance qui y sont révélés, le colonialisme, l’antisémitisme, le machisme, le racisme…

La journée est aussi variée dans ses formes, il y a évidemment beaucoup de musique, des séquences vidéo… Avec des moments poignants, lors d’une scène retransmise de l’Opéra de Kiev en temps de guerre.

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