Par Elsa Collobert
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Le témoignage d’Heba, de Gaza à l’Université de Strasbourg

Passionnée de langue et de culture françaises, Heba, étudiante palestinienne de 22 ans, est accueillie à l’Université de Strasbourg grâce à un programme d’excellence du ministère français des Affaires étrangères. Loin de ses proches et de sa terre natale, elle nous raconte sa difficile traversée de la guerre*, jusqu’à son refuge strasbourgeois.

Langue et culture française

« Je suis passionnée de langue et de culture françaises, j’ai décidé d’y consacrer mes études. Pourquoi ? Peut-être parce que mes parents ont tous les deux étudié le français, en Égypte… À partir de 2020, j’ai suivi un cycle de quatre ans de licence, à l’Université Al-Aqsa. Dans la bande de Gaza, il n’y a que deux universités qui enseignent le français.
Bien sûr, les cours ont été interrompus quand les bombardements d’Israël ont commencé, en octobre 2023. Mais j’ai pu finaliser le dernier semestre en suivant les cours en visio : il ne me manque plus que deux matières à valider pour obtenir mon diplôme !

Pour moi la France, sa culture et sa langue ont toujours représenté un idéal de liberté. Mon arrivée en France et la poursuite de mes études me font un peu nuancer cette vision... »

Expérience de la guerre*

« En janvier 2024, soit trois mois après l’attaque d’Israël sur Gaza, nous avons réussi à rejoindre l’Égypte avec une partie de ma famille, dont mon frère et mes quatre sœurs, plus jeunes. Les prix qu’on nous demandait pour le trajet étaient exorbitants, 5 000 € par personne. C’était aussi dur de partir que de rester. Mais avant cela, nous avons erré entre différents lieux de refuges, plus ou moins “sécurisés”… D’abord chez ma grand-mère, dans un quartier moins dangereux que celui où nous nous trouvions au déclenchement des bombardements, puis l’hôpital et enfin chez des proches et dans une école, dans le sud de la bande de Gaza.
Nous avons dû partir précipitamment quand les bombardements d’Israël ont commencé, nous n’avions rien avec nous.

Je pense tous les jours à mes proches restés là-bas, à Gaza et en Égypte. C’est un déchirement d’être loin, mais en même temps je sais qu’ainsi c’est un soulagement pour mes proches, de me savoir en sécurité, à travailler sur la langue que j’aime et le but que j’ai choisi.

« Une maison ça se reconstruit, des amis, cela ne se retrouve jamais… »

Je n’ai pas seulement perdu ma maison dans un bombardement : deux de mes plus proches amies de l’université, Passant et Maryam, ont été tuées dans des bombardements, alors qu’elles se trouvaient dans ce qu’elles pensaient être des refuges – une école et chez des amis. Une autre amie, journaliste, est morte en voulant transmettre la vérité au monde, plus au nord. Une maison ça se reconstruit, des amis cela ne se retrouve jamais…

Mon cousin de 15 ans a été utilisé comme bouclier humain par l’armée israélienne, quand il a été relâché il n’était plus le même...
Ça n’a jamais été facile de vivre dans la bande de Gaza, les Israéliens nous privent de tout et en particulier du droit de circuler librement dans notre pays. Mais l’expérience des derniers mois n’a rien de commun, je n’avais jamais vu autant de cadavres, de martyrs, des difficultés quotidiennes pour ne serait-ce que boire (de l’eau non potable) et manger (de la farine de mauvaise qualité, quand on en trouvait). Pendant près d’un mois, il était extrêmement difficile de s’approvisionner, il y avait des jours où nous ne trouvions rien à manger.

Je tiens à remercier les enseignants de mon département, à Gaza, qui n’ont jamais cessé de rester mobilisés pour leurs étudiants, malgré les difficultés croissantes. Je pense à l’un d’entre eux, en particulier, qui vivait sous une tente, après avoir perdu sa maison. »

Bourses d’excellence

« Les notes que j’ai obtenues au cours de ma scolarité m’ont offert plusieurs opportunités : avant le 7 octobre 2023, j’ai pu partir pour un stage linguistique à l’Institut Cavilam – Alliance française de Vichy, où j’ai rencontré mes premiers amis français. Ensuite, j’ai eu l’opportunité d’aller étudier un peu plus de temps, aux Maldives. Je me suis concentrée sur le perfectionnement de l’oral. » 

Strasbourg

« Je suis arrivée ici à Strasbourg le 11 octobre 2024, grâce à une bourse d’excellence du ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, destinée aux étudiants gazaouis. Après avoir validé un niveau B2, je suis inscrite en niveau C1 du diplôme d’université Retour aux études par la langue et l’interculturalité des étudiants réfugiés (DU Relier), à l’Institut européen d’études françaises (IIEF, lire encadré). Ça ne devrait pas être un niveau trop élevé à atteindre car j’ai réussi à beaucoup progresser en français ces derniers temps, surtout à l’oral qui était mon point faible.
Ici, j’ai reçu un accueil très chaleureux des personnes de la mission Solidarité, qui m’accompagnent dans toutes mes démarches. J’ai aussi reçu beaucoup de soutien de Lila, une étudiante française en master de didactique du Français langue étrangère (FLE), lors du premier semestre.

Je suis une personne d’un naturel sociable, j’ai aussi des expériences d’encadrement de groupes, en français et d’échecs. Cela ne m’empêche pas de me sentir souvent en décalage dans certaines discussions avec des personnes de mon âge. J’ai vécu tellement de choses difficiles… »

Vidéos

« Avant le 7 octobre 2023, je m’étais lancée dans la réalisation de petites vidéos pour montrer la richesse de la culture palestinienne à un public francophone. Je les postais sur mon compte Instagram, ça marchait plutôt bien. Depuis le déclenchement des hostilités, j’ai mis le projet en pause. Je ne parviens plus à me concentrer ni à faire tout ce que j’aimais avant, lire, écrire… Mais je garde l’espoir de reprendre, peut-être quand les cours seront terminés. Je réfléchis aussi à proposer des activités pour les seniors ; une manière de rendre un peu tout ce que la France m’offre. »

Futur

« Même si le cours avait déjà commencé à mon arrivée, j’ai absolument tenu à suivre l’enseignement en phonétique française, quitte à rattraper le retard de mon côté. Mon projet est d’intégrer l’année prochaine le master Didactique des langues. Mon futur plus lointain ? Je l’imagine dans mon pays, il n’y a pas d’autre option pour moi. »

* Note de la rédaction : la rédaction de Savoir(s) le quotidien utilise le terme de guerre pour qualifier les événements en cours entre Israël et Palestine depuis le 7 octobre 2023, communément admis par les médias occidentaux. L’étudiante palestinienne ne fait pas ce choix, arguant d’un conflit asymétrique : « Je préfère éviter le mot guerre, car il s’agit plutôt d’une extermination et d’un nettoyage ethnique, et non d’un véritable conflit entre deux armées ou forces équivalentes ». Saisie de la question, la Cour internationale de justice a émis une ordonnance le 26 janvier 2024 statuant qu’Israël doit « prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte […] de génocide ».

Le DU Relier, tremplin vers la poursuite d’études

Se remettre à niveau en français ou faire certifier son niveau, avant d’entamer une poursuite ou reprise d’études : le DU Relier a été mis en place à l’Unistra en 2019 avec cette ambition. Il fait partie de la catégorie des DU ‘’Passerelle’’, qui rassemblent 42 formations du même type au niveau national, avec pour objectif de faciliter l'insertion académique des personnes en exil, auquel il est réservé, souligne Marie Déroche, responsable de la mission Solidarité.

Côté enseignement, les inscrits bénéficient d’un noyau commun de Français langue étrangère (FLE) puis de différents modules, adaptés à leur niveau de langue – stage, insertion en composante, immersion professionnelle, découverte culturelle…

La plupart des personnes qui intègrent la formation sont orientées par des travailleurs sociaux, poursuit Marie Déroche, qui précise que le DU est doté de 75 places pour chaque semestre. C’est une formation très demandée et, de ce fait, devenue sélective. 

C’est un chiffre plutôt stable, nous avons seulement augmenté le nombre de places, temporairement, pour accueillir des Ukrainiens au déclenchement de la guerre, en 2022. Le coût financier de la formation est entièrement assumé par l’Université de Strasbourg. La formation est portée par le pôle IIEF de la Faculté de langues (responsable d’études : Laurence Schmoll).

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