Par Camille Sanrey, Odile Rohmer et Antton S.
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L’autisme : une spécificité neurodéveloppementale, non une maladie

Le Trouble du spectre de l’autisme (TSA) est un sujet de prédilection pour la presse et les médias. S’il est heureux d’évoquer la (neuro)diversité pour élargir les points de vue, cette mise en lumière révèle beaucoup d’idées reçues et croyances stéréotypées. Eclairage avec Camille Sanrey, maîtresse de conférences en Psychologie sociale et Odile Rohmer professeur en Psychologie Sociale au sein du Laboratoire de psychologie des cognitions (LPC) et Antton S. ingénieure d’études.

Les personnes autistes méritent pourtant d’être connues et reconnues pour ce qu’elles ont de spécifique, sans chercher à les « normaliser ». C’est dans cette approche que s’intègrent les recherches menées au sein du Laboratoire de psychologie des cognitions de l’Unistra (LPC). Leur objectif est de mieux comprendre le regard de la société sur les personnes autistes et de proposer des pistes d’accompagnement qui leur permettent d’accepter leurs différences et de mieux vivre le regard des autres. Ces éléments de compréhension sont d’autant plus importants que la prévalence du TSA est importante (environ 1 enfant sur 100 1, près de 600 000 adultes autistes en France 2).

L’autisme n’est pas tout ou rien mais se situe sur un spectre 

Contrairement à certaines idées reçues, l’autisme n’est pas tout ou rien mais se situe sur un spectre : chaque personne autiste va avoir des difficultés spécifiques, avec des intensités différentes et entraînant des répercussions différentes dans sa vie. Les études récentes appuient le fait que toutes les personnes autistes ne sont pas incapables de reconnaître les émotions d’autrui, de parler, d’avoir des relations sociales, d’être parents, etc. Au contraire, des résultats vont dans le sens de compétences identiques à celles de personnes non autistes sur des champs variés comme le traitement émotionnel des visages 3 ou de la prosodie4. Le regard porté reste malgré tout stéréotypé, associant l’autisme à un manque absolu de capacités sociales et à des comportements perçus comme « bizarres ». Les stéréotypes font aussi état de capacités intellectuelles extrêmes - déficience ou capacités cognitives supérieures5. Des jugements négatifs sur les personnes autistes6 sont montrés, voire de la déshumanisation se manifestant par une attribution moindre d’humanité à ces personnes7

L’autisme est également souvent considéré à tort comme principalement, voire exclusivement masculin, alors que les connaissances actuelles soulignent l’existence des femmes autistes. Cette idée fausse peut s’expliquer d’une part par le fait que ce trouble a été à l’origine étudié chez les hommes. Les outils d’évaluation ont été pensés et validés pour eux. D’autre part, les femmes ont plus de facilités à passer inaperçues dans la société, notamment car elles maîtrisent mieux le camouflage social, c’est-à-dire le fait de masquer leurs difficultés. Ce camouflage est souvent utilisé comme réponse à la stigmatisation, mais n’est pas sans conséquences. En effet, cet effort pour cacher sa propre identité a un coût pour le bien-être et la santé8

Si l’autisme n’est pas une maladie, cette spécificité neurodéveloppementale peut conduire à un handicap, le fonctionnement cognitif lié au TSA influant sur la façon d’interagir avec l’environnement. Les recherches montrent que les difficultés sont contextuelles et non absolues : les contraintes de la situation et les perceptions négatives créent la difficulté9. Ainsi, le handicap ne réside pas dans leur fonctionnement individuel, mais bien dans les réactions stigmatisantes renvoyées par la société10

Améliorer les connaissances concernant la perception du Trouble du spectre de l’autisme

Se basant sur tous ces éléments, le LPC étudie les stéréotypes dont sont victimes les personnes autistes afin d’améliorer les connaissances concernant la perception du TSA, notamment en prenant en compte la caractéristique intersectionnelle du genre. Ces recherchent permettent de mieux comprendre pourquoi ces personnes ont tant de difficultés à être intégrées au sein de la société et de réfléchir à de nouvelles modalités d’accompagnement, en tenant compte des caractéristiques individuelles. Le LPC plaide pour inscrire l’autisme dans le mouvement de la neurodiversité. L’objectif est d’œuvrer pour que la société inclut les différences et élargisse les frontières des possibles. Plutôt que de vouloir que chaque individu réponde à des attentes normatives et de gommer les différences, il s’agit de prendre en compte la nature des obstacles rencontrés pour soutenir la diversité et en comprendre les forces11. Si la société réussit à considérer l’humain comme multiple, et si l’autisme n’est plus vécu comme une tare, une maladie, qu’on chercherait à « guérir », la pleine participation sociale de toutes et tous pourra se mettre en place.

1 Fombonne et al. (2019) ; Zeidan et al. (2022)
2 Haute autorité de santé
3 Dawson et al. (2005) ; Walsh et al. (2016)
4 Grossmann et al. (2010), Hubbard et al. (2017)
5 Draaisma (2009) ; Treweek et al. (2019) ; Sanrey (en préparation)
6 Sasson et al. (2016)
7 Cage et al. (2019)
8 Cage et al. (2022)
9 Jury et al. (2021)
10 Botha et al. (2022)
11 Rohmer, Granjon et Louvet (2023)


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