À la rencontre de Carl Haller von Hallerstein
La professeure d’archéologie grecque Daniela Lefèvre-Novaro et le conservateur à la Bibliothèque nationale et universitaire (BNU) Claude Lorentz publient aux Presses universitaires de Strasbourg un ouvrage consacré aux années grecques de Carl Haller von Hallerstein, pionnier de l’archéologie.
Qui est Carl Haller von Hallerstein et pourquoi lui avoir consacré un ouvrage ?
Claude Lorentz : Carl Haller von Hallerstein est né en 1774 à Hiltpoltstein, un village proche de Nuremberg, au sein d’une famille de la petite noblesse. Devenu inspecteur royal des bâtiments après des études à Karlsruhe et à Berlin, il part en 1808 effectuer son Grand Tour, comme beaucoup de fils de nobles à l’époque. Après un séjour de 22 mois à Rome et dans la péninsule italienne, il s’embarque pour la Grèce, alors sous tutelle ottomane, en juillet 1810, avec l’intention d’y collecter les matériaux pour une description de la Grèce et de ses monuments antiques. Il s’y attèle jusqu’en 1817, date à laquelle ce pionnier de l’archéologie classique meurt de maladie et d’épuisement. Au-delà de la personnalité et de la trajectoire de Carl Haller von Hallerstein, ce sont ses écrits et notamment son journal pour la première fois traduit en français, ses multiples dessins à la fois scientifiques et artistiques, que nous publions et analysons dans ce livre.
Daniela Lefèvre-Novaro : Outre sa vie aventureuse, Carl Haller von Hallerstein est un savant essentiel pour la connaissance de la Grèce antique, ses monuments et ses paysages. Grâce à ses notes, nous avons pu reconstituer neuf de ses itinéraires effectués durant sa présence dans le pays de 1810 à 1817. Il y est le témoin privilégié d’une Grèce ottomane et musulmane qui disparaitra après la guerre d’indépendance (1821-1829) et le témoin particulier de sites antiques comme Olympie ou Delphes avant qu’ils soient dénaturés ou détruits par la guerre et les pillages. Il nous en donne de rares images et représentations. Par ailleurs, ses carnets contiennent de nombreuses réflexions sur la protection et l’exploitation des sites antiques, ce qui fait écho aux débats contemporains sur la constitution et la restitution des collections archéologiques au sein des grands musées européens et sur l’identité européenne.
Votre livre présente des textes et des dessins de Carl Haller von Hallerstein qui n’avaient jamais été publiés en français jusqu’à présent. D’où viennent-ils ?
C.L. : La BNU de Strasbourg conserve depuis 1874 une grande partie des archives de Carl Haller von Hallerstein : son journal de voyage, ses carnets de croquis, ses portefeuilles de dessins et sa correspondance. L’acquisition de ce fonds par la bibliothèque, peu après sa fondation et alors que l’archéologie classique se développe au sein de l’Université de Strasbourg, est une histoire en soi que nous évoquons dans le livre. En tant que conservateur en charge des manuscrits scientifiques à la BNU, j’ai rapidement été frappé par la volumétrie et la complétude du fonds, ainsi que par la beauté des dessins desquels se dégage une véritable poésie, reflet de la personnalité subtile et sensible de leur auteur. J’en ai parlé à Daniela qui a, pour sa part, été frappée par leur intérêt pour l’archéologie et l’histoire de cette discipline. Chemin faisant, nous avons ensuite pu bénéficier en 2022 du dispositif « résidence de chercheur » de CollEx-Persée, ce qui nous a permis d’aller plus loin dans nos investigations.
D.L.-N. : Cette résidence CollEx-Persée a été un facteur clé car elle nous a permis d’élargir le spectre de la recherche et de solliciter d’autres spécialistes pour investiguer ce fonds qui ne l’avait jamais été dans son intégralité. Dès le début, notre ambition était de montrer toutes les dimensions – archéologiques, historiques, artistiques – du travail de Carl Haller von Hallerstein. Aussi, nous avons sollicité Jérôme Schweitzer, conservateur à la BNU, archiviste – paléographe et historien ; Christine Peltre, historienne de l’art à l’Université de Strasbourg, spécialiste des artistes-voyageurs en Grèce ; et Corentin Voisin, alors doctorant et à présent docteur en sciences de l’Antiquité, à qui l’on doit la traduction inédite du journal de Carl Haller von Hallerstein. Cette dimension interdisciplinaire est aussi l’un des intérêts majeurs du livre.
Votre livre a la particularité d’inaugurer une nouvelle collection aux Presses universitaires de Strasbourg (PUS) : « Savoirs collectés » ?
C.L. : Quand nous avons appris que les PUS, la BNU et le Jardin des sciences envisageaient la création d’une collection commune visant justement à valoriser les collections universitaires de Strasbourg et d’ailleurs, il nous a paru évident de proposer notre projet. Nous sommes heureux de l’inaugurer avec notre livre et remercions sincèrement tous ceux et celles qui ont contribué à sa réalisation, à l’université et à la BNU.
D.L.-N. : Notre ouvrage est le fruit d’une coopération interdisciplinaire et interinstitutionnelle ! Il faut également noter que nous avons pu compter sur le soutien financier de mécènes privés pour son édition. Nous nous en réjouissons, car cela illustre bien notre volonté de réaliser un livre qui soit à la fois un ouvrage scientifique pertinent et un beau-livre à même d’intéresser le grand public au-delà de la communauté des spécialistes.
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